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La crise migratoire que connait l’Europe depuis le début des années 2000 n’est plus tout à fait la même.
On se rappelle encore d’une immigration dite clandestine, concernant des jeunes ressortissants de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, essentiellement pour des raisons économiques. À la faveur des guerres en Syrie, en Libye, en Jordanie et de l’instabilité politique dans la corne de l’Afrique, on assiste à un afflux massif de familles entières sur les côtes européennes. Ils se définissent comme des réfugiés (« toute personne qui craint d’être persécutée dans son pays d’origine et ne peut y bénéficier d’une protection ou ne peut y retourner ») et, à ce titre, peuvent demander le droit d’asile.
L’Union Européenne, s’étant indignée que la Méditerranée soit une fosse commune géante, s’est donné pour mission de rechercher et de secourir les migrants en mer. Face à une arrivée exponentielle des migrants, cela ne réglait pas la question du nombre de morts durant la traversée ou une fois arrivés à bon port. La répartition entre les pays membres fait encore grincer des dents. Les sociétés civiles se sont quant à elles organisées à travers bon nombre d’initiatives, dont des patrouilles privées en Méditerranée, l’accueil des réfugiés à domicile, l’apport d’une aide humanitaire dans les camps, etc.
Les enjeux posés par les grandes vagues d’immigration ne varient pas beaucoup dans l’histoire : on refuse de vivre avec des communautés différentes sur le plan ethnique et confessionnel à moins qu’elles s’assimilent à nos valeurs ; on refuse, surtout dans un contexte de crise économique, de partager les miettes de gâteaux qui restent dans l’assiette ; l’autoproclamé État islamique n’a-t-il pas dit qu’il enverrait ses soldats infiltrer ces mouvements ?
Pour les adeptes de la fermeture des frontières, ces questions sont légitimes et ne répondent pas du racisme. Les solutions consistent à militariser les frontières – jusqu’à installer des blocus maritimes sur les côtes des pays de départ –, et de favoriser les nationaux en termes d’allocation des ressources.
En Europe, on remarque un désaccord profond sur le sujet selon que l’on soit originaire d'un pays de l’Est, récemment sorti de l’influence soviétique, ou de l’Ouest, avec une certaine tradition droit-de-l’hommiste et un passif de pays colonisateur. Les premiers Etats, dont la Hongrie, répondent par des barbelés, et pour cause, ce sont de petites nations en termes démographiques. Qui plus est, elles manquent de recul historique pour accueillir de grandes communautés immigrées. L’immigration y est plus que partout ailleurs instrumentée à des fins électoralistes. « Dans un monde où tout est liquide, où tout est fluide, l’immigration est l’un des seuls thèmes qui fait réaffirmer sa souveraineté » nous dit Michel Agier, ethnologue, spécialiste des phénomènes liés aux migrations.
On se demande alors pourquoi l’Allemagne s’est proposée pour accueillir près de 800 000 réfugiés dans les trois années à venir. On ne peut négliger l’impact médiatique d’une telle décision. L’Allemagne prend le leadership sur la question et devient un modèle à suivre pour les autres pays de l’Union en plus d’être acclamée par la communauté internationale. « Le monde voit l’Allemagne comme un pays d’espoir et de chances, ça n’a pas été toujours le cas » déclare Angela Merkel. Les mauvaises langues diront qu’elle se bâtit un capital sympathie en plus d’un « bétail électoral » cependant, les motivations profondes d’une telle décision ne peuvent tenir qu’à du cosmétique.
Il faut désormais envisager les migrations dites illégales comme un fait structurel à mieux organiser. Il est contre-productif de crier à la sécurité en face d’un mouvement qui s’inscrit dans la durée. De plus la mise en place de dispositifs pour restreindre drastiquement le flux de réfugiés coûterait beaucoup plus cher que le prétendu coût qu’ils occasionneraient aux sociétés si elles les prenaient en charge. Au pire, pour les adeptes de la fermeture, et comme le souligne un économiste américain, « ouvertes, les portes servent autant à rentrer qu’à sortir. »
Les nouveaux arrivants ont beaucoup à donner. Ils créent de la demande et de nouveaux emplois, ce qui influence la hausse des investissements puis des salaires. Ils constituent un apport démographique à des sociétés en perte de vitesse, dont la part des populations actives fond d’année en année. Si l’Allemagne semble avoir montré une voie morale, cette voie est aussi celle de la raison.
François Crépeau, rapporteur spécial auprès de l’ONU sur les droits de l’homme nous dit qu’il faut tout bonnement ouvrir des routes légales pour l’immigration si l’on veut à la fois que le phénomène cesse et qu’il soit moins dramatique. Là encore, à défaut de couper le mal à sa source, les politiques devront inventer de nouvelles façons d’agir (on pense, entre autres mesures, à la mise en place de visas humanitaires) de telle sorte que les flux de réfugiés soient une chance pour l’Europe.
Moustapha Dembele
Crédits : Reuters
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